Je suis bien obligé maintenant de l’avouer, non sans honte : j’étais jusqu’à présent encore tout à fait innocent à la musique de Philippe Saisse. Pour dire vrai, je l’étais même doublement. D’abord parce que les conditions dans lesquelles je découvris l’album étaient réellement fortuites ; c’est sur le plateau de One Shot Not, émission musicale de haute volée diffusée le jeudi soir sur Arte et présenté par le frappadingue Manu Katché, que ma rencontre avec Philippe Saisse eut lieu. Et quelle rencontre ! C’était renversant. Un groove beau à pleurer que se faisaient tourner les trois lascars dans un mélange d’énergie brute, de contrôle et de sobriété qui donnait merveilleusement à entendre et à voir. P.S.P. Trois lettres, comme un symbole, qui me ramèneront désormais inlassablement à ces deux minutes trente de shoot musical intégral ! Il était dit que l’histoire ne s’en arrêterait pas là… Je partis plein d’espoir à la recherche d’informations, d’albums moins récents ou alors d’un myspace. À part des dates et des vidéos de concert, à peu près rien ! Pas même un article Wikipedia !
Un peu déçu, mais la curiosité toujours en éveil, je décidai de m’intéresser en particulier au claviériste du groupe, Sir Philippe Saisse. En inscrivant son nom dans la barre de recherche de ma page google, j’étais comblé de voir qu’un horizon d’informations s’ouvrait désormais à moi. J’appris d’abord que son nom était bien français, qu’il était né dans la cité phocéenne et avait étudié la musique au conservatoire de Paris avant de perfectionner son jeu de piano outre-atlantique au Berklee College of Music, à Boston. Au fil de mes lectures, je découvris ensuite les références et collaborations du pianiste français. Et là je dois dire que les bras m’en tombèrent. Parmi toutes il y avait : Al Jarreau, les Rolling Stones, David Bowie, Tina Turner, Grace Jones, Marcus Miller, David Sanborn, Chaka Khan et Al di Meola. Que se soit en tant que producteur, accompagnateur ou compositeur (il signe en 1987 le retour de Nougaro en produisant intégralement son album « Nougayork »), il avait toujours su travailler de concert avec chacun de ces artistes. J’imagine, en regardant cette vidéo, que la bonne humeur et l’amusement avec lesquels Philippe Saisse semble travailler, n’ont pu entraver la qualité de ses productions.
Qu’en est-il de ses productions personnelles ? Parlons en justement… Si Philippe Saisse n’hésite pas à donner un coup de pouce musical à ses amis artistes, il n’oublie pas d’exprimer sa sensibilité en réalisant des albums qui sont incontestablement plus proches de ce qu’il est. Il signe en 1988 son premier album solo, Valerian, qui laisse déjà entrevoir l’avenir musical prometteur qui se dessinera ensuite devant lui. Depuis 1988, Philippe Saisse a composé dix autres albums en solo et semble ne pas vouloir s’arrêter en si bon chemin. Évidemment quand on s’intéresse de près à un musicien et surtout quand on découvre un répertoire musical aussi riche et fourni, l’envie vous prend de vous plonger intégralement dans toute sa discographie. Et ça n’a pas loupé ! Je suis revenu de cette expérience sensorielle sincèrement ému.
Si vous prenez le temps d’écouter attentivement la musique de Philippe Saisse, vous découvrirez un nouveau monde de grâce, de poésie et de lumière que chacune des notes du piano associée à l’imaginaire de celui qui l’écoute rend visible. C’est une expérience inouïe.
Qui plus est, il est impassable de concevoir une musique si sensorielle et sensible sans reconnaître les qualités humaines de celui qui la fait naître et lui donne vie. Plus simplement et en ne le connaissant qu’au travers de ses morceaux, je pense que Philippe Saisse est quelqu’un de profondément humain et de généreux. Au fond, si sa musique est brillante, c’est parce qu’elle brille précisément comme un hommage à la vie et aux émotions qu’il y a dedans !
Je serais tenté de fermer mon article sur ces dernières phrases ; mais comment ne pas évoqué son actualité récente qui est la marque de sa consécration ?
Avec la sortie en 2009 de son dernier album solo, At World’s Edge, Philippe Saisse signe un « retour » marqué puisqu’il a reçu en 2009 le prestigieux Grammy Howard du « meilleur album jazz contemporain ». Disons quelques mots sur cet ambitieux projet musical.
Aux origines de l’album, il y a une fuite d’eau ! C’est en effet l’inondation inattendue de son studio d’enregistrement à New York, qui va convaincre Philippe Saisse de quitter Big Apple pour Los Angeles. David Lynch disait à propos de la ville : « J’adore L.A. Je sais que beaucoup de gens y vont et n’y voient qu’une ville tentaculaire, où l’identique se reproduit à l’infini. Mais lorsqu’on y reste un certain temps, on se rend compte que chaque quartier a une atmosphère qui lui est propre. Aujourd’hui encore, L.A demeure un endroit superbe ». On imagine maintenant mieux je crois dans quelle atmosphère cet album a été originalement conçut.
Il faudrait pour faciliter sa lecture aussi évoquer le décès du père du pianiste, intervenu durant sa production. Ainsi plusieurs morceaux (At World’s Edge, Through tainted glasse, Junto,..) sont bercés dans une émotion profonde propice à la mélancolie et à la méditation.
At World’s Edge est aussi l’album d’un pur cosmopolitisme musical ! Philippe Saisse a fait le pari de joindre au projet des artistes et des amis qui lui sont chères. Parmi eux, on peut citer ses deux compères de P.S.P : Simon Phillips à la batterie (batteur de Toto, des Who, de Jeff Beck ou encore de Mick Jagger) et Pino Palladino à la basse (bassiste des Who, de John Mayer, d’Erykah Badu, de Di Angelo ou encore de Clapton). Mais sont également intervenus : Lenny Castro aux percussions, Jeff Golub à la guitare, Rick Braun et Jeff Beal pour les trompettes, Kirk Whalum au saxophone, Michael Davis au trombone ainsi que David Rice et Angélique Kidjo (Grammy du meilleur album musique monde en 2008) au chant.
Vous l’aurez compris, cet album qui a été conçut entre Los Angeles, Paris, Londres et Tokyo n’est pas seulement un énième album dans la discographie de Philippe Saisse. Il est l’harmonie parfaite de l’exigence et des qualités techniques avec l’émotion, le talent et la générosité d’un homme.
S/.
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